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Interview Philippe D’Encausse

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1116612_philippedencausseInterview de Philippe d’Encausse, directeur du pôle France de saut à la perche et nouvel entraîneur du Champion olympique Renaud Lavillenie

 

 

– Quel a été votre parcours entre votre dernière participation aux Jeux Olympiques de Barcelone en 1992 et votre nomination au poste de directeur du pôle France de saut à la perche ?

 

J’ai continué à pratiquer le saut à la perche jusqu’en 1996 avec comme objectif les Jeux Olympiques d’Atlanta, mais je n’ai pas réussi à me qualifier. J’ai alors décidé de mettre définitivement un terme à ma carrière, à seulement 29 ans, car mon corps était usé par des blessures récurrentes au niveau des tendons d’Achille et rotuliens. Il m’a donc fallu trouver quelque chose, je me suis orienté vers l’INSEP pour passer le professorat de Sport – Haut Niveau – que j’ai validé en 1998 et au 1er septembre de la même année j’ai été nommé CTR en Auvergne, chargé des formations avec des missions régionales nécessitant un travail de logistique et d’organisations (gestion des déplacements, des budgets…) et je me suis également lancé dans l’entraînement d’un petit groupe d’athlètes. Puis en 2002, j’ai eu l’opportunité de m’occuper du pôle France où je gérais un groupe d’entraînement en plus du groupe que je manageais en autonomie. Donc pour moi, ça a été un parcours assez logique, l’obtention du diplôme m’a permis à terme d’entraîner des athlètes ce que je fais avec passion maintenant depuis près de 15 ans.

 

 

 

– Aux jeux olympiques la France a obtenu 11 médailles d’or en athlétisme, dont trois au saut à la perche. Quel est donc le secret de la réussite à la française ?

 

Sincèrement ce n’est pas un hasard ! Ca fait plus de 40 ans que nous avons une vraie tradition de la perche en France avec d’excellents sauteurs. Pour l’anecdote, mon père Hervé a été recordman d’Europe en 1966. Je pense qu’il y a eu un phénomène déclenchant à la fin des années 1960 début 1970, lorsque Maurice Houvion est devenu entraîneur national, lui à la fédération et Jean-Claude Perrin au Racing ont prêché la bonne parole dans l’hexagone, en particulier sur l’apprentissage et les fondamentaux techniques du saut à la perche, c’est-à-dire qu’ils se déplaçaient un peu partout en France pour expliquer aux entraîneurs de clubs comment initier des jeunes à ce sport, les aider à concevoir des séances spécifiques et ainsi les accompagner pour mieux appréhender cette discipline. Ce travail de fond a fait naitre des vocations qui font qu’il y a de nombreux entraîneurs de saut à la perche. Ce n’est donc pas un hasard si aujourd’hui on compte beaucoup plus d’entraîneurs de saut à la perche que d’entraîneurs de saut en longueur. Cette réussite tient aussi à la richesse d’hommes, qui fait qu’à terme on arrive à avoir des équipements de qualité avec notamment de bonnes installations indoor pour l’hiver. La perche est une discipline qui coute relativement chère, il faut donc des gens passionnés, des forces vives qui font bouger les clubs et qui contribuent largement aux bons résultats. Pour revenir aux titres et aux médailles, il faut bien entendu des athlètes avec de grosses qualités. Je crois que c’est grâce à ce vécu, cette tradition et tous ces éléments qu’on arrive à optimiser l’ensemble et obtenir des titres olympiques.

 

– Quelles sont les qualités nécessaires pour exceller dans cette discipline ?

 

Il existe des déterminants de performance d’ordre physique. Le premier c’est les qualités de vitesse. Quelqu’un qui ne va pas naturellement vite va avoir énormément de mal à dépasser 5 mètres 80, c’est vraiment le point clé de la performance à la perche, il faut être capable de courir vite avec un engin et être capable à vitesse maximale de réaliser des gestes techniques très précis, il y a donc une notion de vitesse mais aussi de relâchement. Le 2nd c’est ce que j’appelle la force spécifique, on joue sur un agrès mobile, on va donc se rapprocher d’un renforcement musculaire type gymnastique car une fois le saut enclenché, il faut une bonne capacité de fermeture (de bras sur le tronc) et donc une très grande force de gainage car on court avec un poids qui peut aller en bout de perche jusqu’à une vingtaine de Kilos, il est nécessaire d’être gainé pour être efficace. Il faut aussi un bon rapport poids/puissance, car on essaie de décoller du sol donc plus on va être lourd et plus ça va être compliqué. Dans ce rapport je pense que l’équilibre doit toujours être en faveur de la force et non du poids. D’ailleurs on n’a plus trop de « golgoths bodybuildés », on a plutôt affaire aujourd’hui à des athlètes longilignes, et ce n’est pas parce qu’ils sont fins qu’ils ne sont pas forts.

 

Autre déterminant de performance : l’engagement psychologique dans le saut, il existe une notion de prise de risques en saut à la perche qu’il n’y a pas dans d’autres disciplines de l’athlétisme. La performance va dépendre à la fois du levier, c’est à dire la longueur de la perche qu’on utilise et de la dureté de cette perche. En gros, plus le levier va être important (donc plus la perche va être longue) et plus les chances de réussir une barre élevée vont être facilités. Le seul problème c’est que plus on a de levier et plus on va décoller loin du butoir qu’est le point d’impact de la perche. Ce qui veut dire que la nécessité d’arriver vite augmente en fonction du levier utilisé et la dureté de perche fait que plus la perche est dure, plus le renvoi va être dynamique et rapide. Tout cela fait que plus on augmente et plus on durcit l’élément extérieur qu’est la perche, plus il va falloir que le physique suive.

 

 

 

– Vous êtes le nouvel entraîneur de Renaud Lavillenie, comment avez-vous vécu ces premières semaines de collaboration et quels sont les axes prioritaires de travail ?

 

Je suis parti du constat que Renaud était champion olympique, qu’il passait 6 mètres 03 et que, depuis 2 ans, c’était le meilleur au monde. Donc, ça veut dire qu’il y a beaucoup de chose très bien faites. Mon axe de réflexion par rapport à ce constat c’est d’optimiser tout ce qu’il fait bien. Ce qu’il fait bien, si on arrive à ce qu’il le fasse encore un peu mieux, on va forcément gagner quelques centimètres Nous ne sommes pas partis dans l’optique de le modifier en profondeur, si on l’alourdit par exemple je suis persuadé qu’il va régresser et redescendre à 5 mètres 70 et ça on ne peut pas se le permettre. Renaud est champion olympique en titre, il change d’entraîneur, ce n’est pas pour perdre un an en s’adaptant à de nouvelles méthodes d’entraînement. La perche c’est kinesthésique ! Il faut de bonnes sensations pour sauter haut, on ne peut pas modifier trop de paramètres et engendrer trop de fatigue sans risquer de perdre le schéma technique. Le schéma technique c’est primordial pour la confiance, on sait qu’on peut le perdre très vite et que c’est un élément très long à retrouver. Un exemple frappant, le précédent champion olympique Steve Hooker, ça fait plus d’un an qu’il n’arrive plus à sauter haut, passer 5 mètres 70 aujourd’hui lui demande un investissement colossal alors qu’il a un record personnel à 6 mètres 06.

 

– Renaud a seulement 25 ans, selon vous, a-t-il le potentiel pour un jour envisager battre le record du monde de Bubka, et si oui, comment comptez-vous vous y prendre ?

 

Je pense qu’il a le potentiel pour tutoyer voire dépasser le record du monde, c’est son objectif de toute façon. Ça passera par plusieurs étapes. D’abord acquérir une régularité plus importante à 5 mètres 95, passer plusieurs fois 6 mètres chaque saison, puis se mesurer à des barres supérieures à 6 mètres. Pour ça, je me répète, dans l’entraînement l’axe prioritaire reste l’optimisation de ses qualités, en se focalisant sur des détails pour progresser et viser plus haut. On va travailler sur ses points forts notamment son explosivité en tenant compte de son gabarit (1m76, 67 Kg). Renaud est un athlète avec de grosses qualités physiques, sans s’entraîner c’est quelqu’un qui saute 7 mètres 50 en longueur, donc je pense qu’il est plus pertinent de jouer sur ses qualités que de chercher à l’alourdir pour gagner en force pure. On cherche plutôt à développer sa force de pied afin d’augmenter sa capacité d’impulsion et d’améliorer son relâchement sur les dernières foulées pour qu’il puisse accélérer encore plus.

 

– A quoi ressemble une semaine d’entraînement avec Renaud, en phase de préparation ?

 

planning_philippe_daucausseTout d’abord je tiens à préciser que Renaud fait partie d’un groupe d’entraînement dans lequel on retrouve notamment Marion Fiack (4m42), Stanley Joseph (5m55) et le frère de Renaud, Valentin Lavillenie (5m52).

 

Pour ce qui est du planning hebdomadaire en période de préparation, il commence le lundi matin par une séance de musculation orientée sur le haut du corps. Dans cette séance, on insiste également sur la prévention, notamment au niveau des cervicales et des lombaires car le premier principe pour mon groupe d’entraînement est qu’un athlète compétitif est d’abord un athlète qui n’est pas blessé. Ce travail préventif est très important pour Renaud qui a de grosses fragilités cervicales. Le lundi après-midi, l’accent est mis sur les composantes de la vitesse avec des éducatifs de course, l’idée étant de bien courir pour courir vite.

 

Le mardi après-midi, une séance technique et spécifique de saut à la perche (2h 30) puis une séance de renforcement (1h30) avec du gainage et des mouvements posturaux.

 

Le Mercredi matin une séance de musculation avec des mouvements d’haltérophilie (arraché et épaulé) et de type gymnique (comme des exercices à la barre fixe par exemple) puis l’après-midi un entraînement de course en côte avec une faible inclinaison pour ne pas déformer la foulée. Souvent cette séance, dite d’accumulation lactique, se compose de courses à très haute intensité sur des durées de 10 à 14 secondes (ce qui peut correspondre à du 8 x 100 mètres sur des courses sur le plat) pour vous donner un autre repère quelqu’un qui fait un 100 mètres en 12 secondes il va le faire en 13,8. Renaud lui, dans l’après-midi, se contente en général d’une séance de cardio en salle, pour s’épargner une séance de course et éviter de rajouter encore des impacts au sol.

 

Le jeudi après-midi comme le mardi une séance de saut à la perche (2h30).

 

Le Vendredi on commence la journée par un travail de pliométrie avec des sauts en contre bas, des impulsions et un travail d’explosivité verticale avec des bondissements, on ne dépasse jamais 250 impacts par séance. Puis l’après-midi, une musculation orientée sur le bas du corps avec des mouvements sur 1 jambe, notamment de la presse horizontale. Je préfère travailler moins lourd sur 1 jambe car à 2 jambes on passe plus de temps à charger et décharger la presse qu’à travailler et puis de toute façon on ne court pas sur 2 jambes !!! Cette séance est complétée par un renforcement de la chaine postérieure, en particulier les fessiers et les ischio-jambiers, avec des séries longues, puis très souvent, on conclut la séance encore par quelques bondissements sur banc.

 

Enfin, le samedi débute par du renforcement qui va servir de préparation à une séance de saut plus courte (1 heure) basée sur la technique, en essayant de trouver un transfert entre le renforcement spécifique effectué en amont. Renaud lui termine habituellement par une autre séance de cardio non impact.

 

– En athlétisme et en particulier au saut à la perche l’entraîneur fait également figure de préparateur physique contrairement à d’autres sports individuels comme la boxe ou le tennis, pouvez-vous nous dire pourquoi ? Et de votre côté comment gérez-vous cette particularité ?

 

Culturellement en athlétisme tous les entraîneurs travaillent sur le développement énergétique c’est même le support de notre système de performance donc c’est vrai que dans la grande majorité des cas les entraîneurs d’athlétisme font le travail technique, la planification et également la préparation physique car c’est souvent le cœur même de l’entraînement.

 

Dans mon groupe d’entraînement, je travaille depuis quelques années avec Yann Remondin, un préparateur physique qui, je le précise, n’est pas issu de la discipline. Il intervient en autonomie deux fois par semaine pendant une heure ou plus, avant ou après des séances spécifiques perche sur des domaines bien précis que je lui commande,en particulier au niveau du renforcement musculaire. Il met en place des exercices de gainages actifs qui sont en rapport avec les spécificités du saut à la perche. Avec lui j’échange énormément, on discute beaucoup, et je valide ou non les exercices qu’il me soumet. Je suis convaincu de l’apport de ses interventions car auparavant les athlètes réalisaient ce renforcement en fin de séance et sans grande implication. Le fait que ce soit un entraînement à part entière et qu’il soit encadré par une personne compétente est un vrai plus. Donc, je crois que même si vous venez du milieu de l’athlétisme, il ne faut pas hésiter, tout en contrôlant les contenus, à faire appel à des intervenants compétents en préparation physique, pour optimiser les performances de vos athlètes.

 

 

Propos recueillis par Physiques Performance, le 9 novembre 2012


Une réponse à “Interview Philippe D’Encausse”

  1. hadi dit :

    Un article complet qui nous donne un bon aperçu de ce que peut être une semaine d’entrainement pour un perchiste de haut niveau. On perçoit bien au travers de cet article la simplicité et l’authenticité de cet athlète aujourd’hui entraineur passionné qu’est Philippe. Il nous autorise à comprendre ou plutôt deviner les contours d’une discipline relativement complexe que peut être la perche. Il a cette capacité à pouvoir rendre les choses simples et accessibles ce qui n’est pas donné à tous. Il nous permet au travers de cet article de comprendre la place particulière qu’occupe un coach d’athlé qui gère aussi, bien souvent, la préparation physique de ses athlètes, même si ici, Philippe D’Encausse me semble être un précurseur puisqu’il tend à s’ouvrir vers d’autres spécialistes pour perfectionner ses entrainements.
    En bref un article riche authentique et passionnant qui nous semble presque trop court en définitive.

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