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Interview Jean-Christophe Péraud

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Le cycliste Français, Jean-Christophe PERAUD, deuxième du Tour de France 2014, revient sur sa longévité, sa préparation et ses objectifs en exclusivité pour physiques performance.

 

 

 

 

 

  • Vous avez cette année 38 ans, comment expliquez-vous votre longévité ? 

Je pense que le premier point qui explique ma longévité résulte du fait que je n’ai jamais grillé les étapes. En effet, je suis arrivé assez tardivement dans le vélo et j’ai progressé « lentement », à mon rythme. D’une année sur l’autre, ma volonté était de progresser et de me construire. Je n’étais pas obnubilé d’arriver au plus haut niveau le plus vite possible. J’ai donc pris mon temps pour avancer, d’acquérir de l’expérience, d’apprendre à me connaitre et c’est sûrement ce qui explique aujourd’hui que j’ai encore de la fraicheur. Je n’ai pas grillé toute mon énergie, dans mes premières années ; à faire énormément, à être dans le quantitatif. A la fin de chaque saison, j’ai mis en place des pistes d’améliorations pour la saison suivante. Aujourd’hui, par exemple j’explore une nouvelle piste avec l’aspect diététique. Je n’ai jamais fait d’effort particulier dans ce domaine, mon entraîneur, Mickaël Bouget m’y a incité. J’ai travaillé cette saison avec Denis Riché, il est important de travailler avec les meilleurs spécialistes pour trouver les moyens de faciliter la digestion avant l’effort ou vous permettre de mieux récupérer.

Deuxième point, c’est que je suis passé du VTT à la route. Je ne me sens pas du tout saturé mentalement. Au contraire, j’ai beaucoup de fraicheur car j’ai changé de discipline, j ‘ai découvert même un « nouveau sport ». C’est pour cette raison que je n’ai donc pas laissé la lassitude s’installer par ses quinze années de sport professionnel.

Enfin, je me sens bien physiquement, mon organisme n’est pas rouillé, j’ai vraiment le sentiment de pouvoir encore progresser, c’est mon moteur, ce qui me pousse à continuer.

 

  • Qu’est-ce que le VTT vous a apportez pour être performant en course ?

J’ai fait quinze ans de VTT à haut-niveau c’est donc le VTT qui m’a façonné. Et la différence entre la route et le VTT c’est l’intensité de l’effort. En VTT, la course est plus courte mais on se livre à 100% ; du kilomètre 0 jusqu’à la ligne d’arrivée. Alors que sur la route il y des moments « off », par exemple une échappée est partie et on se trouve dans le peloton à l’abri dans les roues on n’est pas obligé de se donner à fond pendant toute la durée de la course. Donc le travail en VTT m’a apporté ce goût de l’effort sur des intensités maximales.  

 

  • De quoi est fait le travail physique « hors vélo » tout au long de l’année ? Quelles sont, pour vous, les disciplines complémentaires à votre sport, et pourquoi ?

Je suis vraiment pas bien placé pour parler de ça. Beaucoup de cyclistes font de la PPG (préparation physique générale), du gainage et de la musculation en salle, et ça depuis longtemps. De mon côté, je crois que pour être performant dans un sport, il faut pratiquer le sport. En cyclisme, on a une problématique de poids, à savoir, quand tu veux monter il faut être le plus léger possible. Je ne veux donc pas développer une musculature qui n’est pas adéquate à mon sport et que je vais devoir traîner dans les cols alors que je n’en ai pas besoin. C’est un peu mon inquiétude ! Surtout je m’interroge : la musculation est-t-elle transposable dans le vélo ? Par exemple lorsqu’on fait des squats, tu fais du muscle pour pousser tes squats mais dans quelle mesure après ce muscle va te servir dans le sprint ? J’aurai tendance à vouloir aller chercher tous ces exercices spécifiques dans la pratique de ma discipline, c’est-à-dire que je mets un gros braqué comme dans une bosse, je me gaine et je tourne les jambes à 40 tours minute, je force, je force, je force… donc j’entraîne ma force de façon spécifique, j’essaie de penser à mon gainage. Après mon entraineur, il n’en est pas persuadé, il aimerait que je fasse plus de gainage surtout du gainage dynamique, il trouve que je ne suis pas assez gainé sur les chronos en particulier. Je ne suis pas vraiment convaincu.

Donc pour travailler le gainage, plus par plaisir, je pratique l’escalade, ça me permet de faire des mouvements fluides et m’oblige à bien me gainer pour passer une prise. Faire un mouvement d’escalade, ça gaine un peu tout le corps. Qui plus est, avec l’escalade, il n’y a pas de prise musculaire sur les membres inférieurs. C’est pourquoi, je trouve ça assez très intéressant. A contrario, j’ai toujours une crainte, celle de prendre des bras donc je m’entraîne plus sur des dalles, je travaille les portées, j’insiste sur les amplitudes articulaires, sur mon positionnement.

 

  • Et vous n’avez jamais essayé autre chose ?

Si, quand j’avais 18 ans j’ai fréquenté les salles de gym pour faire comme tout le monde…Et je n’ai jamais ressenti ce besoin, j’étais dans une phase de découverte de la discipline et pas encore dans le haut niveau donc je faisais pour faire… Mais je n’ai jamais retiré des bénéfices de ce travail, ce qui explique surement pourquoi je n’ai pas continué dans cette voie.

 

  • Concrètement, pouvez-vous nous présenter vos cycles d’entraînement avant d’attaquer les courses ?

Je vais vous expliquer ça de manière assez générale. A la fin de saison sportive, je coupe quasiment un mois, de mi-octobre à mi-novembre, pour bien me régénérer. En effet, mon organisme a été mis à mal pendant 11 mois, le cyclisme est un sport d’énergie il faut donc remplir le réservoir et c’est pourquoi une coupure d’un mois s’impose. Ensuite l’entraînement reprend par un stage avec l’équipe avec un gros volume d’entraînement (en moyenne 26 heures / semaine), s’en suit aussi toute une phase hivernale durant laquelle je continue le volume, pendant laquelle je fais des heures et des heures d’entraînement, avec des petits rappels de forces, d’explosivité…. Je vais pouvoir me présenter aux premières courses en début d’année en ayant donc fait du volume, essentiellement la zone 3 (Intensité 3) c’est-à-dire un tempo de type Fartleck à intensité élevée, mais aussi un peu d’explosivité et quelques séances au seuil. L’entraînement au seuil commence réellement au début des compétitions, il s’agit de la zone qui se rapproche des situations de courses comme le contre la montre ou une échappée en solitaire. La sensation de fatigue est importante, parler est quasiment impossible. Qui plus est, mes premières courses de la saison sont aussi des courses de préparation. En effet, les compétitions de début d’année font parties intégrantes de mon plan d’entraînement pour la suite de la saison afin d’atteindre un bon état de forme. A titre d’exemple, « le Dauphiné » me permet de me préparer pour le Tour de France. Début mai, je fais une coupure d’une semaine et j’arrive au Critérium Dauphiné en sachant que je vais être un peu court, je sais que je vais me faire taper dessus, mais c’est un passage obligé pour travailler en vue d’un objectif plus lointain.

Donc une fois que tu t’es entraîné en zone Intensité 3 et au seuil, tu vas travailler la filière anaérobie lactique et ça quand tu es à un très bon niveau ça va faire la différence ; le lactique, c’est un truc incompréhensible en VTT. A l’époque du VTT j’ai sauvé des courses avec juste un peu de lactique ; tu as une capacité à réaliser des efforts très intenses qui est primordiale en VTT, et qui, sur la route, peut faire la différence dans le final d’une course, donc cela va être plus des exercices de 30 secondes à 1 minutes d’efforts à très haute intensité avec une récupération relativement courte. Au niveau du volume de travail, je diminue d’un tiers, je passe de 20 heures (sans compétition) à 14 heures d’entraînement par semaine, mais par contre j’intensifie en intégrant la composante lactique qui est pour moi la cerise sur le gâteau, ce travail à dominante lactique m’apporte vraiment beaucoup, il me permet de répondre plusieurs fois à des attaques en course ou de moi-même attaquer et faire la différence, c’est très important, surement la clé de la performance à haut niveau.

 

  • Faites-vous des tests de puissance ou d’endurance si oui quels sont-ils ?

Il y a un test énergétique sur vélo que je réalise en début d’année pour avoir ma VO2 max (autour de 86 ml/mn/kg), ce résultat est intéressant, il fixe l’intensité de mes séances avec des zones de travail afin d’optimiser mes entraînements. Théoriquement il faut faire ça plusieurs fois dans l’année parce que ça évolue, maintenant avec l’expérience, je travaille toujours dans les mêmes zones donc c’est difficile en début de saison. Cela devient plus facile quand la forme est là, naturellement je vais me déplacer en haut de la zone et je ne vois pas l’utilité de faire plusieurs tests dans la saison, même si d’un point de vue physiologique et scientifique ça paraît logique, tu progresses dans une saison, tu changes et tu dois aussi changer tes zones de travail.

 

  • Avez-vous un entraîneur personnel qui vous aide à planifier votre saison ?

Je travaille avec Mickaël Bouget, qui est mon entraîneur depuis fin 2005, ensemble on planifie la saison. La réussite d’une saison repose sur une planification rigoureuse et précise. Pour préparer un objectif, il faut aussi savoir l’amener, en établissant des choix dictés en fonction des compétitions. Donc le Dauphiné reste une préparation au vue du Tour de France. Là, en termes de planification, il y a des choses à respecter, des logiques avec des phases de récupérations, pour permettre la surcompensation et des phases de montées en pression…tout ça, se planifie sur la saison.

La coordination du travail avec Mickaël se fait principalement par téléphone et internet, parfois sur Skype parce qu’il réside en Suisse. On a aussi des plateformes avec l’équipe, avec des fichiers Garmin et un suivi de chaque entraînement grâce aux données enregistrées par les capteurs de puissance. J’envoie les éléments à mon entraîneur et il peut exploiter les résultats et affiner quotidiennement et me suivre à distance. Je le vois seulement 5 ou 6 fois dans l’année, mais ça me suffit, c’est une collaboration qui s’est construite et qui dure depuis dix ans, c’est une relation de confiance qui à mes yeux et très importante. C’est un élément incontournable dans ma recherche de performance. La relation avec l’entraîneur c’est quelque chose de primordial, il faut trouver chaussure à son pied et à partir de là, ne plus changer.

 

  • Comment s’est construite cette collaboration avec votre entraîneur ?

Il y a plus de dix ans, j’avais fait une année sans entraîneur et j’avais remarqué que ça avait plutôt bien fonctionné, mais je sentais qu’il me fallait un regard extérieur et que j’avais besoin d’échanger davantage. J’ai donc sondé à droite à gauche, à la recherche d’un entraîneur, j’ai demandé à des amis, j’ai discuté avec plusieurs personnes, puis on m’a présenté Mickaël, il m’a séduit par sa vision de l’entraînement, il était pertinent et intéressant dans sa démarche et ses remarques. Nous avons donc décidé de travailler ensemble. Au début ça a été laborieux, il faut le dire, il a fallu se trouver et c’était loin d’être évident, il s’est un peu planté, il faut aussi arriver à connaître l’athlète, et ça s’apprend mais je ne regrette pas d’avoir continué. Je pense qu’il y est pour beaucoup dans mes résultats, à ce niveau-là son apport ne représente peut-être que d’un petit pourcent, mais ce 1% fait toute la différence. D’ailleurs, Mickaël fait aujourd’hui partie intégrant de l’équipe AG2R, il s’occupe de 5 coureurs sur les 30 qui composent notre groupe. C’est un signe fort qui prouve ses compétences et qui montre que j’étais sûrement dans le vrai en le choisissant.

 

  • Quelle sont les sportifs que vous admirez le plus ?

J’adore les sports mécaniques, donc je vais citer Sébastien Loeb, il m’a impressionné durant toute sa carrière, c’est un véritable athlète et un redoutable compétiteur. J’aime beaucoup aussi Martin Fourcade, que j’ai eu la chance de rencontrer lors d’une interview croisée il y a quelques années, j’aime bien sa vision du sport et de la vie, les valeurs qu’il dégage (rigueur, engagement, plaisir) et auxquelles je m’identifie, en plus on fait des sports qui se ressemblent assez.

 

  • Une expression qui vous symbolise bien ?

J’aime bien la devise de Pierre De Coubertin : «  L’important dans la vie, ce n’est point le triomphe, mais le combat. L’essentiel n’est pas d’avoir vaincu, mais de s’être bien battu. »

 

  • Que peut-on vous souhaiter pour ce tour de France 2015 ?

Je veux montrer que ma deuxième place de l’an dernier ne relevait pas du hasard, Je vais me battre pour un podium même si je sais au fond de moi que ça va être compliqué ! J’ai vraiment conscience que ce challenge va être difficile à atteindre car il y a beaucoup de concurrence sur cette édition 2015, notamment le carré des favoris avec Nibali-Froome-Contador-Quintana, sans oublier les français Pinot et mon coéquipier Bardet. Mais si je l’ai fait une fois, pourquoi ne pas le refaire…

 


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